La déforestation, j’ai fini mon deuil | Deforestation, I'm Done Mourning

Name: TAHINA Roland Frédéric

Age: 26

Country: Madagascar

La déforestation, j’ai fini mon deuil

Ma ville natale est Morondava, une ville victime de l’érosion marine située dans le moyen Ouest de Madagascar, dans région Menabe qui abrite l’Allée des baobabs, le fameux « monument naturel ». Région connue pour sa riche biodiversité, ses célèbres aires protégées qu’il faut protéger. Pourtant, je n’ai jamais pu découvrir cette biodiversité et ces paysages durant la vingtaine d’année que j’ai passée là-bas, je n’ai jamais su ce que vivaient les communautés aux alentours de ces fameuses célèbres aires protégées. Je ne me suis jamais rendu compte des autres impacts du changement climatique dans ma vie personnelle ni autour de moi.  J’avais l’ambition d’en revenir, après mes études dans la capitale, en tant que décideur, en une personne de pouvoir, le pouvoir de changer les choses de moi-même. Mais précisément pour soutenir les communautés locales dans l’agriculture et la gestion des ressources naturelles. Passionné par tout ce qui est sciences sociales liées à la gestion des ressources naturelles, je me sentais du côté du peuple. Une nature protégée pour moi s’illustrait comme un « Eden exploité par une communauté prospère». Ma formation et mes idées préconçues m’ont guidé vers une rationalité économique sur la forêt et la nature ainsi qu’une vision anthropocentrique du développement. « J’aime la nature » mais jamais au détriment d’une communauté pauvre et fortement dépendante des ressources naturelles pour survivre. En quelque sorte, je m’opposais à toute approche que je pensais être « conservationniste » autant pour la gestion des ressources naturelles que pour le changement climatique. 

Focus group dans un village de migrant, Kirindy Village (Menabe Antimena), 20 mai 2018. Crédit photo : TAHINA Roland Frédéric

Focus group dans un village de migrant, Kirindy Village (Menabe Antimena), 20 mai 2018. Crédit photo : TAHINA Roland Frédéric


Mais ironiquement je n’ai pu vraiment découvrir la réalité que vivent les communautés locales, entre autres ceux des aires protégées, que vers la fin de mes études. Tout d’abord via un petit boulot en tant qu’assistant de recherche dans l’Aire Protégée Menabe Antimena et enfin, le choc de ma vie, en tant que responsable de suivi écologique et des patrouilles communautaires au sein d’une ONG de conservation œuvrant dans cette aire protégée. Menabe Antimena est une aire protégée dans le moyen ouest de Madagascar, caractérisée par son vaste écosystème unique de forêt dense sèche. Avant, elle était connue pour ses animaux endémiques et ses baobabs mais ces derniers temps son nom est associé à la déforestation massive. La forêt est brûlée après abattage du  sous-bois pour fournir un microclimat et les éléments minéraux favorables à la culture de maïs. Les parcelles sont brûlées puis cultivées en maïs chaque année pendant trois ans puis les terres sont abandonnées pour s’attaquer à une autre parcelle de forêt. Tout ça dans une aire protégée catégorie V de l’IUCN dont la vocation est d’assurer l’harmonie entre les hommes et la nature. La communauté autochtone de cette aire protégée dépend fortement de l’agriculture pour survivre. Mais un tout autre phénomène a accéléré le massacre de la forêt : la migration climatique d’une autre communauté vers l’aire protégée. De plus en plus de gens du Sud de Madagascar se déplacent vers le nord et arrivent à Menabe, fuyant la sécheresse et la famine dans leur village d’origine. Ces nouveaux venus sont en quête de travail et de revenu, la majorité défriche pour survivre. Le maïs fait partie de l’aliment de base de cette communauté migrante, et une grande part du maïs produit dans la forêt est commercialisée. J’ai été sidéré de constater le cercle vicieux dans lequel vivent ces gens, elles ont quitté le sud poussées par les effets du changement climatique alors que dans la région d’accueil elle brule la forêt pour cultiver. En plus, bruler la forêt source de pluie pour y cultiver une culture pluviale me parait complétement illogique. Déjà la région Menabe est très vulnérable à l’aridité et aux aléas climatiques. Forestier de formation, je suis convaincu du rôle primordial de la forêt face au changement climatique. Sans ces forêts, autochtones et migrants seront encore plus vulnérables. En plus à quoi bon se lancer dans un projet de reboisement national (projet gouvernemental à Madagascar) alors que la forêt naturelle meurt littéralement à grand feu. 

Parcelle de forêt défrichée et brulée pour la première fois, photo prise lors d’une patrouille dans le noyau dur, 2 novembre 2018. Crédit photo : TAHINA Roland Frédéric

Parcelle de forêt défrichée et brulée pour la première fois, photo prise lors d’une patrouille dans le noyau dur, 2 novembre 2018. Crédit photo : TAHINA Roland Frédéric

Parcelle de forêt brulée après première mise en culture du maïs, photo prise lors d’une patrouille dans le noyau dur, 27 février 2019. Crédit photo : TAHINA Roland Frédéric

Parcelle de forêt brulée après première mise en culture du maïs, photo prise lors d’une patrouille dans le noyau dur, 27 février 2019. Crédit photo : TAHINA Roland Frédéric

Par ailleurs, mon petit boulot d’assistant de recherche dans l’aire protégée m’a permis d’écouter les perceptions de la communauté. Les riziculteurs de la région (pour la plupart des autochtones) se plaignaient déjà de l’ensablement de leur rizière surement du a la déforestation, même les cultivateurs de maïs et d’arachide confiaient que les pluies sont de plus en plus insuffisantes. La prise connaissance de toute cette réalité m’a ouvert les yeux, je dois coute que coute sauvegarder le reste de la forêt dense sèche du Menabe Antimena, pour le présent et le futur de tous. C’était mon défi. Etre responsable de suivis écologique et patrouilles au sein de l’ONG de conservation était une grande opportunité pour moi de le réaliser. Selon le titre du poste, mon travail était le suivi des espèces faunistique cibles de conservation de l’ONG en question. Mais, l’urgence à Menabe c’est la forêt, habitat de ces animaux, d’où les activités de lutte contre la déforestation. Ma mission était de renforcement les activités de patrouille dans la forêt dans le but de limiter l’entrée dans la forêt par les défricheurs et les trafiquants de bois. Mais au-delà du poste, c’était une mission personnelle pour moi en tant forestier et en tant que natif de cette région. Nombreux sont les parties prenantes dans la gestion de l’aire protégée. J’ai eu l’occasion de voir différentes approches de conservation et de lutte contre le changement climatique à l’œuvre. Ces approches allaient de la création d’activités génératrices de revenu, à la restauration que je juge hâtive (conditions des bailleurs obligent) de la forêt, et les activités de répression dont les patrouilles. Avec des collègues patrouilleurs, nous avons subi des menaces des trafiquants sur nos personnes. J’ai essuyé des commentaires révoltants sur la « bêtise » et la perte de temps que j’étais en train de commettre – si jeune, diplômé et qui devrait se soucier d’avoir un « avenir stable » – en me mêlant des affaires des grands et des intouchables trafiquants, en me souciant de la cause perdue des petits paysans défricheurs, de la foret et d’une question d’un tout autre niveau qu’est le changement climatique. Réaction désolante mais typique au pays du « moramora » (ce qui peut être interprété comme « pas compliqué »).

Sous-bois défriché et bois précieux (Dalbergia sp.) exploité, dans la forêt de Kirindy (Noyau dur du Menabe Antimena), photo prise lors d’une patrouille d’Aout 2018. Crédit photo : TAHINA Roland Frédéric

Sous-bois défriché et bois précieux (Dalbergia sp.) exploité, dans la forêt de Kirindy (Noyau dur du Menabe Antimena), photo prise lors d’une patrouille d’Aout 2018. Crédit photo : TAHINA Roland Frédéric

Un début de feu dans une forêt déjà défrichée, photo prise lors d’une patrouille du 13 septembre 2018. Crédit photo : TAHINA Roland Frédéric

Un début de feu dans une forêt déjà défrichée, photo prise lors d’une patrouille du 13 septembre 2018. Crédit photo : TAHINA Roland Frédéric

Les activités des patrouilleurs se limitent au constat et à la collecte de données sur la déforestation dans l’aire protégée en espérant que les responsables de la gestion de l’aire protégée fassent quelque chose en retour. Je n’en pouvais plus de mon impuissance face à la destruction de la forêt lors de mes descentes en forêt avec les agents de patrouille. J’ai décidé de changer les choses par moi-même tout en ayant des tonnes de question qui me hantaient : « mais qui suis-je pour pouvoir changer ça ? Les gens me prendront-ils au sérieux, les décideurs daigneront-ils m’écouter? Est-ce que je m’en sortirais indemne ?

J’ai cherché désespérément à agir, recherchant d’autres solutions à ma portée et plus sincères que ceux que j’ai vu à l’œuvre. J’ai plongé dans l’activisme, en solo d’abord. Je partageais des informations à des gens influents, journalistes y compris. J’ai essayé moi-même d’influencer le maximum de personnes sur les réseaux sociaux en partageant les réalités sur la vulnérabilité des communautés locales à Menabe Antimena et l’état de la forêt. Mais j’avais limité mon champ des possibles, ma conscience en demandait plus et mon activisme devait aller jusqu’au bout. J’ai quitté mon poste dans l’ONG.

Photo de groupe avec des agents de patrouille communautaire du Menabe Antimena après une réunion-formation en Septembre 2018. Crédit photo : TAHINA Roland Frédéric

Photo de groupe avec des agents de patrouille communautaire du Menabe Antimena après une réunion-formation en Septembre 2018. Crédit photo : TAHINA Roland Frédéric

Début de patrouille en équipe mixte : un militaire armé, un policier de l’administration forestière et les agents de patrouilles communautaire, patrouille du 6 Septembre 2018. Crédit photo : TAHINA Roland Frédéric

Début de patrouille en équipe mixte : un militaire armé, un policier de l’administration forestière et les agents de patrouilles communautaire, patrouille du 6 Septembre 2018. Crédit photo : TAHINA Roland Frédéric

Avec des amis motivés et engagé pour cette AP, ayant la même conviction, nous avons monté une association pour le renforcement de la résilience des communautés locales de Menabe Antimena au changement climatique et la préservation de la biodiversité pour le développement rural. Nous l’avons nommée Harmonia, pour refléter l’harmonie entre l’homme et la nature à laquelle nous aspirons. Nous sommes convaincus et décidés d’agir étroitement en collaboration avec la communauté locale pour la réconcilier avec la nature, dans leurs pratiques agricoles, leur initiative de restaurer les friches et la forêt dégradée. Actuellement nous avons monté un projet fou d’aller vivre dans un des villages dans l’AP et d’y pratiquer nous-même la permaculture pour montrer l’exemple et convaincre tout le village par des résultats concrets qu’ils peuvent prospérer en étant résilients et en harmonie avec la nature.

Changer les mentalités en faveur de la gestion durable des ressources naturelles afin d’augmenter la résilience des systèmes sociaux et naturels est très difficile dans un pays comme le mien, surtout dans une zones aussi difficile à vivre que les environs de Menabe Antimena. Mais nous sommes convaincus que nous y arriverons. J’ai comme l’impression d’avoir passé tous les stades du deuil, le choc, le déni, la colère, le marchandage, la dépression, l’acceptation et la reconstruction. Mais le deuil de quoi ? Je prie et me bats pour que ce ne soit pas celui de la forêt dense sèche du Menabe, et surtout pas celui des communautés qui y vivent et finalement de cette planète à cause du changement climatique.


Deforestation, I'm done mourning

My hometown is Morondava, a city affected by marine erosion located in the Middle West of Madagascar, in the Menabe region that houses the Baobab Alley, the famous "natural monument". Area known for its rich biodiversity, its famous protected areas that need to be protected. However, I was never able to discover this biodiversity and these landscapes during the twenty years I spent there, I never knew what the communities around these famous protected areas were going through. I have never realized the other impacts of climate change in my personal life or around me. My ambition was to return, after my studies in the capital, as a decision-maker, as a person of power, the power to change things for myself. But precisely to support local communities in agriculture and natural resource management. Passionate about all the social sciences related to the management of natural resources, I felt on the side of the people. A protected nature for me stood out as an "Eden exploited by a prosperous community". My training and preconceived ideas have guided me towards an economic rationality on forests and nature as well as an anthropocentric vision of development. "I love nature" but never at the expense of a poor community that is highly dependent on natural resources to survive. In a way, I opposed any approach I thought was "conservationist" for both natural resource management and climate change.

But ironically, I was only able to really discover the reality of local communities, including those in protected areas, towards the end of my studies. First of all through a small job as a research assistant in the Menabe Antimena Protected Area and finally, the shock of my life, as an ecological monitoring and community patrol officer within a conservation NGO working in this protected area. Menabe Antimena is a protected area in the mid-west of Madagascar, characterized by its unique vast ecosystem of dense dry forest. Before, it was known for its endemic animals and baobabs, but recently its name has been associated with massive deforestation. The forest is burned after felling the undergrowth to provide a microclimate and mineral elements suitable for maize cultivation. The plots are burned and then cultivated with maize every year for three years and then the land is abandoned to attack another plot of forest. All this in an IUCN Category V protected area whose vocation is to ensure harmony between people and nature. The indigenous community of this protected area is heavily dependent on agriculture for its survival. But a completely different phenomenon has accelerated the massacre of the forest: climate migration from another community to the protected area. More and more people from southern Madagascar are moving north and arriving in Menabe, fleeing drought and famine in their home villages. These newcomers are looking for work and income, the majority are clearing to survive. Maize is part of the staple food of this migrant community, and a large part of the maize produced in the forest is marketed. I was amazed to see the vicious circle in which these people live, they left the south driven by the effects of climate change while in the host region it burns the forest to cultivate. In addition, burning the rain forest to grow a rainfed crop seems to me to be completely illogical. Already the Menabe region is very vulnerable to aridity and climatic hazards. As a trained forest worker, I am convinced of the essential role of forests in addressing climate change. Without these forests, indigenous people and migrants will be even more vulnerable. In addition, what is the point of embarking on a national reforestation project (a government project in Madagascar) when the natural forest is literally dying at great risk?

In addition, my small job as a research assistant in the protected area allowed me to listen to the community's perceptions. Rice farmers in the region (mostly indigenous) were already complaining about the silting up of their rice fields, probably due to deforestation, even maize and groundnut farmers confided that the rains were becoming increasingly insufficient. The knowledge of all this reality has opened my eyes, I must cost that it costs to safeguard the rest of the dry dense forest of Menabe Antimena, for the present and the future of all. That was my challenge. Being in charge of ecological monitoring and patrols within the conservation NGO was a great opportunity for me to do so. According to the job title, my work was to monitor the conservation target wildlife species of the NGO in question. But the emergency in Menabe is the forest, the habitat of these animals, hence the activities to fight deforestation. My mission was to strengthen patrolling activities in the forest in order to limit the entry into the forest by clearers and wood traffickers. But beyond the position, it was a personal mission for me as a forester and as a native of this region. Many stakeholders are involved in the management of the protected area. I have had the opportunity to see different approaches to conservation and climate change at work. These approaches ranged from the creation of income-generating activities, to the restoration of the forest that I consider hasty (conditions of the donors oblige), and repressive activities including patrols. With fellow patrol officers, we have been threatened by traffickers on our people. I have heard revolting comments about the "stupidity" and waste of time I was committing - so young, graduated and who should care about having a "stable future" - by interfering in the affairs of the big and untouchable traffickers, by caring about the lost cause of small-scale landowners, the forest and an issue on a whole other level, namely climate change. A sad but typical reaction in the country of the "moramora" (which can be interpreted as "uncomplicated").

Patrol activities are limited to identifying and collecting data on deforestation in the protected area in the hope that those responsible for managing the protected area will do something in return. I could no longer stand for my helplessness in the face of the destruction of the forest during my descents into the forest with the patrol officers. I decided to change things by myself while having tons of questions that haunted me: "but who am I to change that? Will people take me seriously, will decision-makers listen to me? Would I get away with it?"

I have been desperate to act, looking for other solutions within my reach and more sincere than those I have seen at work. I went into activism, solo first. I shared information with influential people, including journalists. I myself have tried to influence as many people as possible on social networks by sharing the realities of the vulnerability of local communities in Menabe Antimena and the state of the forest. But I had limited my field of possibilities, my conscience was asking for more and my activism had to go all the way. I left my position in the NGO.

With motivated and committed friends for this PA, with the same conviction, we have set up an association to strengthen the resilience of local communities in Menabe Antimena to climate change and the preservation of biodiversity for rural development. We have named it Harmonia, to reflect the harmony between man and nature to which we aspire. We are convinced and determined to work closely with the local community to reconcile it with nature, in their agricultural practices, their initiative to restore wastelands and degraded forests. Currently we have set up a crazy project to go live in one of the villages in the AP and practice permaculture ourselves to set an example and convince the whole village with concrete results that they can prosper by being resilient and in harmony with nature.

Changing attitudes towards the sustainable management of natural resources in order to increase the resilience of social and natural systems is very difficult in a country like mine, especially in an area as difficult to live in as the surroundings of Menabe Antimena. But we are convinced that we will succeed. I feel like I have gone through all the stages of grief, shock, denial, anger, bargaining, depression, acceptance and reconstruction. But the mourning of what? I pray and fight that it will not be the one of the dry dense forest of the Menabe, and especially not the one of the communities that live there and finally of this planet because of climate change.